CHIARA#1 › dear fear

Un sourire, pas grand-chose d’autre. Il suffit que ses tentatives de creuser un peu sous la façade de quelqu’un réussissent pour que Harkness se retrouve parfaitement démunie, incapable de savoir quoi dire sur elle-même, quoi demander, comment s’y prendre. La socialisation n’a jamais été son point fort, et elle n’a jamais vraiment pris soin d’y remédier ; alors peut-être qu’elle parle trop d’elle, ou pas assez, qu’elle pose trop de questions indiscrètes, ou qu’elle reste trop en surface. Elle n’en sait rien, et quelque part, discuter lui prend trop d’énergie pour qu’elle n’essaie d’analyser son discours pour y changer quoi que ce soit. Elle se contente de vivre dans l’instant, ça lui semble déjà beaucoup. « J’ai pas toujours été dans ce domaine », qu’elle répond avec un demi-sourire, elle n’a pas envie de revenir sur son passif d’ingénieure, sur les heures supp, l’insatisfaction constante, le burnout au bord de la route à chaque virage jusqu’à chez elle. « Mais j’pense que si j’étais restée dans mon ancien job, ça aurait été une question d’années avant que je flambe tout. Là, je suis bien. Les carcasses, ça ne presse personne. » Ca a trop été laissé pour compte pour même se rebiffer. Elle sourit, renvoie les questions, se suspend à ses lèvres sans détourner le regard ; elle lui plaît, Chiara, elle la fascine en cela qu’elle s’anime quand elle parle, elle trouve les bons mots exactement au bon moment, elle s’exprime comme s’il n’y avait rien d’autre. Elle parle de sa passion et pourtant, Sam se sent tout aussi passionnée, à défaut d’y connaître quoi que ce soit. « Ce qui est bien avec l’assurance, c’est que personne ne sait si elle est vraie ou forcée. » C’est tout ce qu’elle répond, avec un sourire malicieux ; elle a la sensation que ça aussi, elles le partagent, sans qu’elle ne voie tout à fait sur quoi Chiara pouvait être si peu assurée, elle qui rayonnait par son sourire, qui embrasse le monde avec une énergie peu commune. En comparaison, Sam semble bien fade, si peu rôdée à la vie, si étrangère à elle-même. « J’étais à DC, avant. Enfin, j’y ai grandi. C’était sympa un temps, puis c’est devenu… Je sais pas. Trop pressé, toujours dans le faste et le rapide, tu vois ? J’avais envie de me réfugier dans un endroit plus petit, plus serein. » Fairview s’était imposée comme telle : petite ville dans petit Etat, population restreinte, fermeture relative au reste du monde. Un havre s’il en était un… « Je sais pas si j’ai bien fait de venir. » Sourire contrit, à nouveau. « Est-ce que t’as cette impression, parfois, que tout le monde ment, ici ? » Ses yeux relâchent les siens, enfin, et elle se sent reprendre son souffle. Dans la cuisine, le four bippe et elle s’empresse d’aller ouvrir, reposant son verre sur la table basse. Quand elle revient, plat entre les mains, c’est pour offrir un air davantage désolé encore : « Désolée. C’est peut-être complètement stupide et déplacé, comme remarque. » Elle pince ses lèvres, se rasseoit, frotte ses deux paumes sur son jean. « Mais c’est… Je sais pas. Tout le monde a l’air si réticent à la discussion, au changement, aux nouveaux. Tu poses une question un tout petit peu personnelle et y a quelque chose qui se raidit chez les gens. Tu reposes la question une semaine après et ils te répondent un truc totalement opposé à la première fois. » Elle a l’impression de revivre dans sa famille, au fond ; eux qui ont toujours vécu le départ de sa soeur comme une trahison à étouffer à tout prix, eux qui sont tellement gardés, presque emmurés dans leurs secrets, même face à leur fille. Sam, au final, se retrouve comme elle l’a toujours été gamine : étrangère à tout, y compris à ce qu’elle est censée avoir de plus proche. « Comment tu fais, pour vivre ici depuis si longtemps ? »

@Chiara Holdbrook